A l'occasion de la disparition de Roger Moore, j'ai répondu aux questions de la journaliste Mélissa Chevreuil du Point.
Le Point Pop : Qu'est-ce que Roger Moore a apporté à James Bond ?
Philippe Lombard : Roger Moore a permis à la série de renaître. Dans les années 60, Sean Connery et la saga James Bond étaient intimement liés, on ne pouvait pas imaginer quelqu'un d'autre dans le rôle. George Lazenby, qui lui succède en 1969 dans Au service secret de Sa Majesté, est coincé dans l'imitation. Quand les producteurs engagent Moore en 1973 pour Vivre ou laisser mourir, ils savent qu'ils partiront enfin sur autre chose. Sa personnalité déborde sur ses personnages, comme dans la série Amicalement vôtre. Il incarne un tout nouveau type de héros, pince-sans-rire, élégant, dénué de toute noirceur. Il a conscience que, de toute façon, il ne peut pas faire du Sean Connery. Il apporte une certaine légèreté.
Comment expliquer que son interprétation fut parfois « décriée » ?
L'ère portée par Sean Connery était noire et violente. Bons Baisers de Russie (1963) n'a rien d'une comédie. Alors que dans L'Homme au pistolet d'or (1974), on s'amuse du début à la fin ! Roger Moore a amené une forme de divertissement caractéristique de son époque. Et on sait comme les gens sont récalcitrants au changement. On considérait aussi qu'il n'était pas très bon acteur à l'époque. On aimait le caricaturer avec un fort accent anglais et un sourcil constamment relevé. Roger Moore le savait et en jouait souvent. Si son interprétation n'était pas aussi spectaculaire que celle de Sean Connery, on ne peut pas lui enlever une certaine présence. D'autant plus qu'il ne convoitait pas particulièrement le rôle. Son rêve à lui, c'était de jouer le méchant ! (rires)
S'il fallait définir le « style Roger Moore » en quelques mots ?
Un style très second degré, entre le charme et la décontraction. C'est un James Bond qui, définitivement, ne se prend pas au sérieux, qui casse presque le quatrième mur. On a l'impression que, parfois, il nous regarde, comme lorsqu'il lance un coup d'œil au public. Dans Octopussy, en 1983, il chante même le célèbre générique d'ouverture créé par Monty Norman !
A-t-il laissé quelque chose à ses successeurs comme Pierce Brosnan ou Daniel Craig ?
Selon moi, Pierce Brosnan était le parfait mélange entre Sean Connery et Roger Moore. Du premier, il a emprunté son humour et sa nonchalance. Du second, il a gardé la violence et la dureté. En revanche, il n'a pas laissé grand-chose à Daniel Craig qui ressemble plus à Sean Connery, tout en intensité et en virilité.
Comment a-t-il vécu l'après-James Bond ?
Roger Moore a connu une période difficile, mais il savait qu'il fallait bien s'arrêter un jour. Dans Dangereusement vôtre, son dernier James Bond sorti en 1985, il a déjà 58 ans ! S'il n'a pas vraiment réalisé de film majeur par la suite, c'est aussi qu'il n'a jamais cherché à sortir du costume de l'agent secret. À l'exact opposé de Sean Connery, qui, lui, ne rêvait que de ça. Il a toujours gardé un tendre souvenir de son époque 007 et, plus que tout, il aimait être associé au rôle, sachant pertinemment ce qu'il lui devait. Il est même allé voir Pierce Brosnan sur le tournage de GoldenEye pour lui souffler quelques conseils. Même si, forcément, il est avant tout attaché aux épisodes de son époque. Selon lui, ceux avec Daniel Craig sont bien trop violents !
Pourrait-on voir à nouveau un James Bond joué « façon Roger Moore » ?
Cela m'étonnerait fort. Je ne pense pas qu'on puisse transposer des éléments de sa période à la nôtre aussi facilement. C'était vraiment une autre époque, les films étaient moins violents, on pouvait, comme Roger Moore, tenter l'interprétation « cartoonesque ». Et surtout, la concurrence n'était pas là même. Entre les Mission Impossible et Jason Bourne, on n'a jamais vu autant d'espions, perpétuellement au cœur de l'action. Roger Moore, on ne l'a jamais vu courir ! (rires)