Making-of "Möbius" (2012)

 

 

La société Label-Image m'a chargé des interviews du making-of du film d'Eric Rochant Möbius, tourné à Paris, Bruxelles et au Luxembourg (juin-juillet 2012). Diffusion sur 13e Rue le 24 février 2013.

Réalisation du making of : Laurent Bergers

Personnes interviewées : les acteurs Jean Dujardin, Cécile de France, Tim Roth, Oleksii Gorbunov et Emilie Dequenne, le réalisateur Eric Rochant, les producteurs Eric Juhérian, Mathias Rubin et Christophe Cervoni et le cascadeur Philippe Guégan.


 

dujardin.png

 

Interview de Jean Dujardin sur le plateau au Luxembourg (juillet 2012)

Comment êtes-vous arrivé sur le projet ?

C'est le producteur Alain Attal qui m'a donné le script. Et d'ailleurs, il m'a simplement dit "voilà, j'ai un truc qui n'est pas mal. Tu pourrais le lire". Il ne me l'a pas survendu. Du coup, je n'avais pas d'attente particulière, et je me suis retrouvé embarqué dans cette histoire, moi qui suis toujours à la recherche de sensations et d'émotions. J'ai relu trois fois le scénario avant de rencontrer le metteur en scène, Eric Rochant, dont LES PATRIOTES constitue une référence majeure dans le genre de l'espionnage. Dès le départ, ça partait bien.

Qu'est-ce qui vous a particulièrement plu ?

Ce qui m'a immédiatement séduit, c'est la rigueur dans l'écriture et l'ambition du film : MÖBIUS se situe entre LES PATRIOTES et LES ENCHAÎNÉS, à michemin entre le film d'espionnage et l'histoire d'amour. J'ai aussi trouvé que le scénario était tendu et bien ficelé, ce qui est très rare. On sent qu'Eric Rochant a pris le temps pour élaborer l'intrigue et qu'il s'est abondamment documenté. En tant que comédien, il faut lui faire confiance et le laisser nous amener où il souhaite car c'est son histoire. J'avais vraiment envie d'explorer un autre registre, c'est-à-dire avec plus de contraintes dans l'espace de jeu. Après THE ARTIST où on me demandait d'être davantage expressif, je trouvais intéressant d'aller dans plus de retenue. Car dans MÖBIUS, c'est avant tout le réalisateur qui vient nous chercher avec sa caméra. C'est un film qui repose beaucoup sur les échanges de regards : que ce soit dans l'intrigue d'espionnage ou dans l'histoire d'amour, on est toujours dans l'observation.

Comment pourriez-vous décrire votre personnage, Moïse / Grégory Liubov ?

C'est l'homme de main de Cherkachin. Il était "vori" – voleur – dès l'âge de 15 ans, donc voyou, et il s'est retrouvé en taule, puis Cherkachin l'a pris sous sa coupe et l'a envoyé en mission. C'est quelqu'un d'assez rigoureux, qui maîtrise énormément les choses. Il y a peu de place pour le plaisir dans sa vie, et l'histoire vient le cueillir au moment où, justement, il s'autorise à vivre peutêtre sa vie d'homme. Il le formule de la manière suivante : "Je crois que je suis en train de merder sérieusement". Il s'en amuse et s'en inquiète, mais il sait qu'il doit systématiquement trouver des solutions. Et il se rend compte qu'à chaque fois qu'il ment à ses coéquipiers, il ment à cette femme qu'il aime, et qu'il se ment à luimême. J'ai fini par me rendre compte qu'en fait Moïse ressemble étrangement à Eric Rochant. Et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'il vit aussi intensément son film.

Justement, il semble assumer sa passion amoureuse au détriment de sa vie professionnelle. C'est quelque chose qui résonne en vous ?

Je sais qu'il faut trouver un point d'équilibre entre vie professionnelle et vie affective. Moïse, lui, n'a pas vraiment le choix. D'ailleurs, dans le scénario, Cherkachin, son mentor, lui présente des prostitués pour assouvir ses désirs. Il s'entend souvent dire : "Ne tombe pas amoureux". De mon côté, j'ai le choix : j'ai la chance, pour le moment, de pouvoir gérer ma vie affective et familiale et ma vie professionnelle, et il n'est pas question qu'il y en ait une qui prenne le pas sur l'autre.

On peut dire que Moïse est à l'opposé d'OSS 117. Était-ce l'occasion de jouer une autre facette de l'agent secret ?

Je n'ai pas eu l'impression de jouer l'agent secret parce que, justement, je pense que l'écueil de ce genre de film, c'est la pose, la frime. Dans OSS 117, on est délibérément dans le cliché et le pastiche. Pour MÖBIUS, je pense que j'ai davantage abordé mon personnage comme un chef d'entreprise qui essaye de motiver ses troupes, et qui leur dit : "je veux des résultats", "je veux que ça fonctionne et c'est comme ça". En étant le plus ferme possible. On a été très attentifs avec Eric à ne pas tomber dans la frime. C'est lui qui m'a guidé, et je n'ai pas hésité à changer de registre, quitte à être un petit peu monomaniaque et à assumer les défauts du personnage, ce qui peut s'avérer assez séduisant. Dès l'instant où on a éliminé le piège de la frime, j'ai tourné totalement le dos à OSS 117, où le personnage prenait énormément de place. Dans MÖBIUS, c'est l'histoire qui est prépondérante et, en tant qu'acteur, il faut l'accompagner.

Vous êtes-vous intéressé au FSB ?

Eric m'en a beaucoup parlé, et il faut dire qu'il est très calé en la matière. Mais on doit avant tout rester humain. L'humain, c'est la dimension que nous, les acteurs, on peut lui apporter, en faisant des lectures. Du coup, grâce à cette démarche, on comprend de mieux en mieux l'histoire, et on en perçoit les enjeux, qu'il s'agisse de l'intrigue d'espionnage, très cartésienne, ou de la relation amoureuse.

Avez-vous le sentiment que c'est votre première grande histoire d'amour à l'écran ?

Pas du tout ! Dans UN BALCON SUR LA MER de Nicole Garcia, par exemple, j'ai appris beaucoup de choses sur la passion amoureuse, et même s'il s'agissait surtout d'un homme amoureux de son souvenir, c'était quand même une histoire d'amour. J'ai aussi vécu une relation amoureuse avec Anne Alvaro dans LE BRUIT DES GLAÇONS de Bertrand Blier.

Mais c'est la première fois, dans votre parcours, que l'histoire d'amour est au coeur de l'intrigue...

Peut-être, oui. Elle est sans doute un peu plus marquante parce qu'elle viole tout un ensemble de règles. Normalement, on ne doit pas déroger pas à ces principes car il est interdit de s'écarter de sa mission. Du coup, elle se remarque davantage car elle se déroule dans la clandestinité.

Vous n'aviez jamais tourné avec Cécile de France.

J'avais très envie de tourner avec elle parce je me disais qu'on avait sûrement un peu la même méthode de travail, et qu'on était tous les deux de bons petits soldats. Chacun de notre côté, nous avons travaillé au maximum pour arriver détendus et disponibles sur le plateau. Cécile s'engage de manière incroyable dans son rôle, elle a une grande disponibilité, et une certaine légèreté. Je pense aussi qu'après avoir souvent joué les femmes-enfants, elle fait ici émerger une femme très féminine. D'ailleurs, quand elle allait se préparer, elle disait : "Je vais me déguiser en femme". Et elle se déguise très bien ! Je pense que l'on va découvrir une autre facette de sa personnalité.

Il y a une scène de coup de foudre qui se joue sur les regards. Comment Eric Rochant vous a-t-il préparé à cette scène ?

Justement, en nous plaçant immédiatement dans un décor et en nous demandant de nous regarder. On se regarde beaucoup dans le film. Il ne faut pas s'appuyer uniquement sur le texte, ou trop préparer les scènes. On peut en discuter entre nous, d'autant qu'Eric aime bien nous apporter de la matière parfois très théorique, mais c'est important ensuite de s'abandonner à la scène.

Vous formez un couple avec Cécile de France où l'alchimie opère formidablement...

Je n'en sais rien. Je sais simplement que nos physiques se correspondent bien. Mais cette rencontre va bien au-delà pour Moïse et Alice : elle est comme une évidence. Car on sent qu'ils peuvent être à la fois très amis et très amoureux, de manière quasi fusionnelle. J'ai donc le sentiment qu'il y a quelque chose de glamour entre eux dans les moments d'intimité et d'assez professionnel dans d'autres situations.

Qu'avez-vous pensé de Tim Roth ?

Je pense que ce n'est pas lui qui va vers le personnage, mais que c'est le personnage qui va vers Tim Roth. Il "TimRothise" tout si je puis dire ! Mais c'est ce qui fait aussi la singularité de cet acteur. Il a une conscience extraordinaire de ce qu'il est, de son visage, de sa démarche et de son jeu. Il y a chez lui une nervosité et une dangerosité qui sont vraiment intéressantes pour le personnage de Rostovski. Sa petite taille aussi génère de l'inquiétude.

Avez-vous travaillé les scènes en russe avec un coach ?

Oui, nous les avons travaillé phonétiquement : j'ai seulement appris mon texte, mais pas à parler russe, ce qui aurait été un peu long ... Mon coach m'a conseillé d'imiter les russes, ce qui s'est révélé très utile. Du coup, j'ai demandé conseil aux acteurs russes avec lesquels je tournais. Ils me disaient : "Tu enlèves une syllabe à la fin des phrases, ça fait un peu plus russe", "Tu ne dis pas vraiment le mot, tu le gardes un peu dans ta barbe", "Tu descends la mâchoire et tu allonges les mots comme ça".

Comment vous êtes-vous entraîné pour la scène de bagarre dans l'ascenseur ?

Comme un bon élève avec le chef-cascadeur Philippe Guégan, et il faut dire que j'adore ce genre de séquence ! Généralement, les bagarres au cinéma sont très sophistiquées. Là, il fallait que ce soit brutal : les coups sont faits pour tuer, et il s'agissait donc d'y parer. La scène devait être courte et efficace, comme les aime Eric Rochant. Il n'y a qu'une scène de bagarre dans le film, mais elle est vraiment intense.

Comment Eric Rochant dirige-t-il ses acteurs ?

Il intervient beaucoup, et parfois même un peu trop ! Comme le film est ambitieux et qu'il avait peu de temps, je comprends son empressement. D'autant plus qu'à chaque fois qu'il me faisait des remarques, c'était très juste et pertinent. Malgré tout, il est assez souple et il reste à l'écoute, mais il a aussi besoin de multiplier les rushes. Et comme certaines scènes sont assez statiques, il lui faut une abondance de plans pour avoir de la matière et pouvoir rythmer le film. J'ai eu le sentiment qu'avec ce film, il a retrouvé ses racines. Son travail sur MAFIOSA lui a énormément apporté au niveau technique, mais avec MÖBIUS il revient vraiment à ses premiers amours.

Vous avez croisé Jean-Paul Belmondo à plusieurs reprises sur le tournage. Peut-on dire qu'il incarne un peu votre ange gardien ?

Je pense souvent à lui parce qu'il m'apprend à relativiser : c'est un grand acteur très libre, très disponible, qui a pris énormément de recul avec son métier, et qui, dans le même temps, est toujours resté proche des gens. Je pense que c'est comme cela qu'il faut considérer ce métier pour s'en protéger aussi. Jean-Paul est quelqu'un qui me fait du bien. Malgré tout ce qu'on a pu entendre sur lui, il est très alerte, avec l'oeil pétillant et un grand sourire sur les lèvres.

Le fait d'avoir remporté l'Oscar a-t-il changé quelque chose pour vous, sinon dans votre travail, du moins dans la perception que les gens ont de vous dans le métier ?

Je n'ai pas vraiment senti de changement. Et puis, je n'ai pas envie que ça change. Je suis simplement heureux d'avoir le luxe de pouvoir choisir parmi les propositions qui me sont faites. Au contraire, je dirais qu'obtenir une telle récompense vous rend plutôt humble car on est, en quelque sorte, attendu au tournant. Je suis conscient que j'ai encore beaucoup de choses à apprendre et qu'il est important de connaître ses faiblesses. On commence à voir émerger un acteur vers 60 ans. Moi, je suis un jeune acteur ! Du coup, c'est formidable d'avoir eu, à 40 ans, autant de prix, et cela suscite un sentiment de fierté. Mais il ne faut pas se laisser griser par la notoriété : elle doit vous aider à vous améliorer, à gagner confiance en vous, mais pas à devenir arrogant. Aujourd'hui, j'ai envie d'une comédie d'aventures. Et j'espère que l'on ne se dit pas "il est trop cher" !

Ajouter un commentaire