Truffaut et la SF

foutufourbi Par Le 11/01/2017 0

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En 1958, à l'occasion d'une critique du film anglais La Marque (le premier Quatermass) dans la revue Arts, François Truffaut fait le procès de la science-fiction et même des amateurs de science-fiction qu'il accuse de tous les maux. Une attaque en règle (qui renvoie aux diatribes anti-rock'n'roll ou anti-comic books) de la part du futur réalisateur de Fahrenheit 451 et de l'acteur de Rencontres du troisième type... Morceaux choisis.

 

« Comment analyser la méfiance instinctive que m'inspirent les fanas de science-fiction ? Je ne puis m'empêcher de penser qu'il faut bien de la sécheresse, de l'insensibilité et de la pauvreté d'imagination pour s'en aller chercher du côté des Martiens une fantaisie, une poésie, une émotion qui sont chez nous, sur la terre, à portée de main, de regard et de cœur, quotidiennes, éternelles. 

 

Toute belle et grande œuvre est sa propre science-fiction ; les personnages de Fellini ou de Hitchcock sont des Martiens, sans accessoires peut-être, mais d'une telle féerie, si loin de nous et tout à la fois si proches qu'ils satisfont pleinement nos besoins d'évasion, de merveilleux et de fantastique. Du reste, les amateurs de science-fiction, conscients de l'extrême fragilité des romans ou des films basés sur une « bonne idée », une trouvaille, un postulat, avouent que l'intérêt commence où les sentiments apparaissent, c'est à dire lorsque la bête, la chose, la forme s'humanise, souffre et réagit sentimentalement, donc lorsque l'entreprise débouche sur nos canevas habituels et que le fantastique ne s'exprime plus que dans les apparences charnelles, vestimentaires, etc.

 

Les amateurs de science-fiction sont racistes sans le savoir, à la manière de ces femmes frigides qui cherchent le plaisir impossible dans des bras colorés, broyant du noir sous le faux alibi de la curiosité ethnique. (…) Ils m'apparaissent suspects dans leur quête désespérée d'une fantaisie aussi fausse que la vérité recherchée par les fanatiques de films strictement documentaires. (…)

 

Assis entre deux chaises, blasé sur la fiction, trop paresseux pour s'adonner aux sciences, privé de toute curiosité humaine, stérile et desséché, incapable de rêves et dénué de fantaisie, (l'amateur de science-fiction) amorce, inconscient, une horrible métamorphose qui fera de lui bientôt une sorte de « phasme » qu'on oubliera dans un bocal confondu aux mortes brindilles auxquelles, dédaignant le cœur humain, il se sera trop exclusivement intéressé. »

 

Source : Arts, n°666, 16 avril 1958.

 

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